
Notre chemin dans ce monde
Un Manifeste Nawi
Un Ode
Notre nom est le Collectif Nawi Afrifem. La majorité de ceux qui nous connaissent nous appellent Nawi.
Nawi est le nom de la dernière survivante connue du N’Nonmiton, décédée en 1979 à plus de 100 ans. Les N’Nonmiton étaient un groupe de femmes soldats qui protégeaient le royaume du Dahomey des attaques et de la colonisation française. N’Nonmiton signifie nos mères. En turkana, une langue parlée par une communauté au Kenya, Nawi signifie chez-soi.
Nawi est la commémoration du nom d'une femme africaine.
Nawi est la reconnaissance de l'histoire et de la continuité.
Nawi c’est le temps – passé, présent, futur - tout réuni, tout à la fois.
Nawi est une ode à une lutte anticoloniale et anti-néolibérale.
Nawi c’est une communauté de femmes africaines engagées dans la compréhension et la critique
de nos systèmes économiques actuels au niveau macro et qui nous sommes devenues grâce à elle.
Nawi est une imagination pour construire des mondes justes, équitables et bienveillants.
Nawi est un foyer pour s'accorder, pour se nourrir et être nourri, pour rêver, pour la joie, pour la liberté et pour une récolte partagée.
Nos analyses
Dans son livre Zeina, Nawal el Saadawi a écrit ceci :
« Le coût du pain est plus élevé,
Nos maisons sont en feu.
Le sucre et l'huile sont plus chers
Et nous sommes devenus moins chers. »
Ces mots sont aussi vrais aujourd'hui, sinon plus, que lorsqu'ils ont été écrits. Notre travail consiste à comprendre pourquoi. Pourquoi le prix du pain est-il plus élevé ? Pourquoi nos maisons sont-elles en feu ? Pourquoi le sucre et l'huile sont-ils plus chers et pourquoi sommes-nous devenus moins chers ? Et, bien sûr, notre travail est aussi d'essayer de changer cette réalité.
L'économie de niveau macro, en termes simples, est la façon dont les gouvernements prennent des décisions sur la façon de collecter et de dépenser les recettes. Autrement dit, comment gagner de l'argent et comment dépenser de l'argent, y compris pour quoi le budgétiser, quoi et combien taxer.
Comme nous le voyons, nos systèmes économiques actuels du niveau macro sont au service du néolibéralisme et sous cette idéologie, le marché (ou plus précisément, ceux qui contrôlent le marché) gouverne tout. Ainsi, au lieu que ce soit les gouvernements qui réglementent des prix alimentaires équitables, les marchés déterminent le coût de la nourriture. Au lieu d'avoir des réglementations strictes sur les droits du travail, les salaires, les avantages sociaux et les impôts, les gouvernements réduisent les réglementations pour permettre aux entreprises privées d'augmenter plus facilement leurs bénéfices. Au lieu de considérer soins de santé et éducation comme un droit, ils deviennent le terrain de jeu des entreprises privées. Le néolibéralisme focalise sur les entreprises privées, dont l'objectif principal est de maximiser les profits, de nous vendre des biens et services, parfois des biens et services basiques, aux prix les plus avantageux pour elles. Et ce n'est pas qu'ils déterminent seulement le prix des biens et des services, ils déterminent aussi leur qualité. Ils déterminent comment nous travaillons, comment nous sommes traités au travail, ce que nous mangeons, combien nous payons pour la nourriture, nos résultats en matière de santé, notre éducation et comment nous traitons l'environnement. Ils déterminent notre valeur, une valeur calculée sur des principes racistes, classistes, sexistes. Les hiérarchies qui déterminent de qui la vie, le travail, la sécurité, la liberté, le bonheur et l'amour comptent le plus. Ces entreprises et les marchés dont les politiques sont axées sur le profit (ce qui leur permettent d'exister) déterminent nos relations les uns avec les autres. Nous pensons que c'est ici le point central de notre malaise.
Quant aux femmes, comme pour tout ce qui nous concerne, il y a une différence pour nous dans les conséquences provenant de la façon dont un pays gagne de l'argent (à quel point il gagne de l'argent équitablement, qui et qu’est-ce qui est soumis à l'impôt) et dépense de l'argent (à quel point il partage équitablement les ressources, qui et qu’est-ce qui est priorisé dans leurs budgets). Lorsque vous êtes celle qui fait la nourriture, va chercher l'eau, fait naître les bébés, élève les enfants, prend soin des malades, sème les graines et récolte les cultures, vous ressentez les effets des politiques macroéconomiques différemment. L'accouchement est plus facile et plus sûr avec des maternités correctement équipées en ressources, les filles sont plus susceptibles d'aller à l'école régulièrement s'il y a, à leur disposition, des sanitaires et des produits sanitaires appropriés, elles sont plus susceptibles de rester à l'école si des programmes d'alimentation scolaire leur sont disponibles, ce qui réduit les charges financières de leur famille, elles sont plus susceptibles de terminer l'école si elles n'ont pas à travailler ou à se marier pour subvenir aux besoins de leurs parents et de leurs frères et sœurs, le temps passé par les femmes à aller chercher de l'eau est réduit ou éliminé grâce aux infrastructures d'eau, leur vie est plus sûre avec des routes pavées éclairées, et ainsi de suite. La façon dont un gouvernement dépense son argent, chaque réduction budgétaire, chaque allocation budgétaire, est une question de droits des femmes, une préoccupation féministe.
Le rêve
Notre travail, plus que d'être contre un système, est au service de nos rêves. Nous rêvons d'un système économique radicalement transformé et juste qui englobe les droits et les besoins fondamentaux de la vie humaine ainsi que l'environnement naturel. Nous rêvons de mondes centrés sur l'éducation, les soins de santé, le logement, une alimentation bonne et saine, une agriculture durable, l'amour, la beauté et la joie.
Pour nous,
Dans un moment pas si lointain
La vie est reine
Par dessus tout
C’est ça le rêve.
Nous
Nous sommes des femmes africaines qui croyons que les systèmes et les politiques économiques au niveau macro guidant nos pays et l'économie mondiale, soient anti-pauvres, anti-travail, anti-femmes, anti-joie, anti-beauté, anti-durabilité et donc fondamentalement, en contradiction avec la vie. Nous sommes un collectif qui aide à construire une communauté de chercheuses, d'écrivaines, d'artistes, de guérisseuses et de rêveuses africaines engagées à analyser, à donner du langage, à changer le langage et à influencer les politiques guidant nos systèmes économiques au niveau macro.
Pourquoi l'économie au niveau macro?
Vous savez quand vous allez au marché, que vous y achetez de l'ail et que la vendeuse vous annonce un prix plus élevé que la semaine précédente et vous lui demandez pourquoi il a augmenté et elle répond : « Le dollar a augmenté. « Vous savez à quel point c'est déroutant parce que, pour autant que vous sachiez, l'ail est produit localement et personne que vous connaissez n'est rémunéré en dollars ? Vous savez à quel point il faut prier pour ne jamais tomber malade parce que le coût d'un traitement médical médiocre est trop élevé ? Vous vous souvenez de la collègue de travail pour qui vous collectiez des fonds lorsqu’elle est tombée malade ? Vous vous souvenez combien c'était juste assez pour pouvoir l'envoyer à Bangkok pour un traitement ? Vous vous souvenez du voisin qui n'avait pas l'argent ou les réseaux et qui est décédé dans un hôpital après une maladie, de deux semaines, inconnue et non diagnostiquée ? Vous savez comment les gouvernements parlent de l'importance de l'éducation, mais lorsque vous déposez vos enfants à l'école, on trouve 35 enfants de sept ans dans une salle de classe et se partageant un livre en groupes de trois ? Vous vous souvenez qu’on vous a dit qu'il y avait des écoles privées abordables dans votre quartier, mais quand vous y êtes allé, vous avez constaté que les uniformes et les coûts d'inscription étaient à eux seuls supérieurs à ce que vous gagnez en trois mois ? Vous savez combien les prix des loyers sont toujours en augmentation, tandis que l’emploi, quant à lui, devient de plus en plus introuvable et moins susceptible de couvrir les dépenses de base ? Vous vous souvenez de ce propriétaire que vous aviez qui a augmenté le loyer d'un quart du prix sans préavis ? Vous vous souvenez comment on vous avait affirmé que vous pouviez le poursuivre en justice, mais cela coûterait de temps et de l'argent ? Vous vous souvenez comment vous avez dû déménager et trouver un logement en cinq jours pour ne pas être en charge du nouveau loyer ? Vous vous souvenez de ce jour où vous aviez un rendez-vous, vous portiez vos chaussures à talons vous persuadant que le chemin était assez court, que vos talons étaient bas et que vous connaissiez toutes les imperfections de la route de votre chemin ? Vous vous souvenez comment vous avez glissé dans un trou à deux pâtés de maisons du restaurant et avez boité jusqu'à la maison sur les routes secondaires non pavées et non éclairées, pour que votre rendez-vous ne vous voie pas ?
Tout ceci, absolument tout, est la raison pour laquelle nous parlons d’économie au niveau macro.
Pourquoi? Parce que le pillage, la cupidité, l'oppression ont duré beaucoup trop longtemps.
Pourquoi? Parce que la science nous dit que nous allons périr, en emportant tous les êtres vivants avec nous, si nous ne fixons pas de limites à leurs/nos appétits, si nous ne tenons pas tout ce qui a été déprécié.
Pourquoi ? Parce que nous croyons en l'insistance persistante de la vie. Parce que notre travail est au service de la vie.
Comment nous réalisons le rêve
Pour réaliser le rêve, nous
Effectuons des recherches, écrivons des articles, racontons des histoires et faisons de l'art pour rapprocher le langage de la macroéconomie à la façon dont nous parlons avec ceux que nous aimons, de notre poème préféré, de la cadence de la langue de notre grand-mère.
Utilisons la langue, changeons la langue, modifions la langue comme un outil pour comprendre, rêver, imaginer et influencer les politiques et les changements sociaux autour des systèmes économiques du niveau macro.
Construisons la communauté, renforçons les réseaux, collectons et partageons les œuvres des femmes africaines, individuelles et des collectives, partageant le désir de voir nos systèmes être au service de la vie.
Notre promesse
Sur notre honneur et sur notre parole.
Nous faisons le vœu de centrer la vie.
Nous demanderons au monde, à nos systèmes et politiques économiques, à nos gouvernements, à notre travail et à nos relations – Est-ce juste ? Est-ce équitable ? Est-ce bienveillant ?
Nous serons motivées par la curiosité, l'exploration et l'expérimentation.
Nous serons sauvages, la gorge ouverte, hurlant et riant, dans notre critique et notre imaginaire.
Nous serons audacieuses et lorsque nous aurons peur ou que nous serons incertaines, nous ferons appel à l'aide de nos sœurs, de nos mères, de nos ancêtres et des esprits pour nous orienter.
Nous privilégierons le langage, le langage familier de tous les jours. Nous privilégierons, non pas les termes, mais la description, les histoires et nos sens.
Nous poserons des questions comme : qu'est-ce qu'on ressent, quels sont les sons, à quoi ça ressemble ?
Nous nous arrêterons pour admirer les fleurs, l'artisanat d'un beau meuble, nous ferons des promenades. Nous le ferons pour rester en vie et en sachant que les systèmes et les façons d'être que nous travaillons à changer, sont en contradiction avec la beauté.
Nous promettons que nos vies et notre travail seront magnifiques.
Nous promettons d'aider à construire des mondes à partir de nos rêves et de notre imagination.
Nous promettons d'être ouvertes au changement, y compris dans les mots que nous avons écrits et prononcés ici.
Nous promettons de travailler, toujours et avant tout, au service de la vie et pour une récolte partagée.
